Centaure
  • Dans le cadre d'une série "Bestiaire"…

Centaure

Les Centaures (Κένταυροι ou Kéntauroi en Grec Antique) sont les célèbres créatures cheval au buste d’homme.
Monstres brutaux, colériques, violents et sanguinaires, ces hybrides grotesques n’en sont pas moins la métaphore bestiale de liberté qu’évoque leur nature mi-humaine, mi-animale.


  • Le Centaure
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Les brumes de l’aurore étaient encore épaisses au lever de ce jour naissant.
Leurs voiles filandreuses s’étiraient telle une toile d’araignée entre les silhouettes que l’on devinait être le tronc d’arbres. A leurs racines, l’humus de la forêt répandait ses fragrances aux odeurs fortes laissées par le passage des animaux nocturnes parfumant les airs chargés de l’humidité de la rosée.
Quelque chose craqua dans le sous-bois encore indistinct.
Là-bas un bruit de succion dans le sol meuble trahi soudain le pas lourd d’un être y enfonçant ses sabots. Cela tapa alors soudainement et furieusement la terre !
Des branches craquèrent de nouveau et cette fois un martèlement puissant et massif frappa d’ondes telluriques l’orée du bois, effrayant quelques oiseaux à peine réveillés. Il y eut comme un raclement de gorge, profond et bestial. Taillis et buissons s’agitèrent et dodelinèrent au passage de l’être.
Cela arrivait.

Au début on ne distingua qu’un corps imposant aux teintes brunâtres. Malicieusement le brouillard n’en laissa entrevoir qu’une partie. Un cerf ? Un bœuf sauvage peut-être… à moins que ce ne fut là un cheval bien qu’il n’aimait pas particulièrement les forêts, trop dense.
Cela sentait fort, un musc viril, une odeur de mâle gorgé d’ardeur et de fougue.
Sa longue queue, drue et au crin dur, fouetta sa peau parsemée de veines et tout autant de tics nerveux la secouant sans cesse. De larges sabots terminant des pattes courtes mais surpuissantes raclèrent le sol le pourfendant de larges sillons comme le fer balafre les chairs. L’animal vociféra de nouveau, un large faisceau de brume s’exhalant de ce que l’on pouvait s’attendre comme un formidable museau, peut-être un groin…
Alors il apparut ! Chimère bestiale, hybride monstrueux ou incestueuse créature, l’être dépassa par l’imagination le présage annoncé par sa venue.
Au lieu d’une encolure c’est un buste, épais, hirsute, couvert de poils et de muscles saillants, d’un homme qui se dressa aux vents l’ayant délivré de sa gangue éthérée ! Un homme oui, mais un homme déchiré par la colère creusant son visage de traits brutaux et violents. Les poings serrés jusqu’aux sangs, les deux bras s’ajoutant aux deux autres paires de pattes n’étaient pas moins impressionnants, les avant-bras étant aussi larges que les biceps menant aux épaules !
Le poil du torse était noire, ténébreux même et frisé de boucles collées et souillées par la bave dégouttant de sa bouche exhalant de nouveau sa rage. Les cheveux de l’être n’en étaient pas moins sales et hirsutes, tout autant en bataille. Epaisse cette chevelure était plutôt celle d’un fauve. D’ailleurs l’homme au corps barbare en avait presque l’apparence, tout du moins l’allure si ce n’était son regard…
… un animal n’avait pas ce genre de regard.

Les yeux rougis, vifs et sanguins, ils étaient là ce qui faisait de la chose un humain.
Mais c’était là toute la part sombre de l’humanité qui bouillonnait dans son sang ! Une rage bestiale grondait comme un ressac permanent dans ses entrailles, le long de ses flancs toujours haletants et pour finir jusqu’à sa gorge prête à beugler la haine de sa condition ou de sa malédiction. Ni vraiment un homme, ni vraiment un animal, comment cette créature pouvait-elle trouver la paix ?
Soudain il s’ébroua presque et sa colonne ou son encolure portèrent son buste de droite à gauche, ses narines se dilatant comme à la recherche d’odeurs capables d’assouvir sa voracité ou sa soif. Il fit deux ou trois pas en arrière comme pour prendre de l’élan. Toutefois il en profita pour appuyer son corps équin sur l’écorce d’un arbre s’y grattant sans ménagement. Un jet d’urine violent et saisissant à l’odeur arrosa la terre au-dessous sans qu’on sache s’il s’y soulagea ou s’il y marqua là trace d’un nouveau royaume conquis.
Un cri guttural s’arracha alors violemment de son cou tordu par les muscles et les artères battantes s’y gonflant comme des scarifications encore fraîches !

Frappant son buste de ses terribles poings, ce seigneur mi-homme, mi-animal, se cabra avec une vigueur étonnante pour son poids. Puis d’un bond incroyable il s’arracha presque dans les airs, chevauchant la lande et faisant trembler la terre du roulement infernal de ses sabots tranchants et percutants ! Oui cette chose était une bête grotesque sans aucun doute mais la fureur de la vie l’animant était bien humaine… celle d’être libre !

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